Les propriétés mécaniques et en particulier les propriétés élastiques des couches minces dépendent des paramètres du procédé au travers de leur microstructure. De plus, elles sont généralement texturées, poreuses, constituées de grains allongés et multiphasées. De ce fait, la connaissance précise des constantes d'élasticité monocristalline (CEM) des constituants d'une couche mince est nécessaire pour prédire son comportement mécanique. Ce travail porte sur le développement d'une méthodologie permettant de caractériser l'élasticité des couches minces à l'échelle macroscopique et à l'échelle cristalline en prenant en compte leur microstructure.
Afin d'extraire les CEM deux techniques expérimentales ont été utilisées, la technique d'excitation impulsionnelle (TEI) qui a permis de caractériser l'élasticité du film à l'échelle macroscopique et la diffraction des rayons X (DRX) qui a permis de sonder le comportement élastique microscopique de la phase étudiée. A l'aide du modèle autocohérent, le comportement élastique de la couche mince aux échelles microscopique et macroscopique a été modélisé. Finalement, les CEM de la phase étudiée sont extraites en minimisant une fonction coût définie par l'écart entre les quantités mesurées expérimentalement et les quantités simulées. La méthodologie développée a été appliquée pour déterminer les CEM de la phase Wβ incluse dans un film de tungstène biphasé (Wα+Wβ) déposé par pulvérisation cathodique magnétron.
Le module d'Young (Ex) et le module de cisaillement (Gyz) du film ont été déterminés par la TEI en analysant le décalage des fréquences de résonance entre le substrat nu et le substrat revêtu [Slim,2017; Slim,2016]. La microstructure du film de tungstène a été caractérisée par microscopie électronique à balayage et DRX. La couche déposée présente des grains de forme colonnaire ainsi qu'un faible taux de porosité. L'analyse de phases par DRX révèle la présence de deux phases : une phase Wα stable de structure cubique centrée et une phase Wβ métastable de structure cubique A15. Les figures de pôles expérimentales et recalculées, montrent que la phase Wα admet une texture d'axe {110} et d'orientation , tandis que la phase Wβ admet une texture d'axe {100} et d'orientation . Ces textures bien marquées permettent d'utiliser la méthode des blocs de texture dans la modélisation mécanique en décrivant le film à l'aide d'une orientation unique pour chaque phase. Pour les mesures de déformations, deux raies de diffraction à grands angles de la phase Wβ ont été choisis et des mesures de leurs positions sous chargement imposé ont été faites sur plusieurs pôles d'intensité déterminés à l'aide des figures de pôles. Le modèle de transition d'échelle de Kröner-Eshelby a été utilisé pour simuler le comportement élastique microscopique et macroscopique de la couche déposée en prenant en compte la texture, la porosité et le multiphasage. Enfin, les CEM de la phase Wβ ont été déterminées en minimisant l'écart entre les quantités expérimentales et les quantités mesurées.
Un autre dépôt de tungstène présentant une texture différente a été déposé et ses constantes d'élasticité macroscopiques ont été calculées à partir des résultats précédents. Les valeurs ont été comparées avec des mesures faites par nanoindentation et TEI. Un bon accord a été constaté.
Cette étude nous a permis d'une part de proposer et valider une méthodologie de détermination des CEM d'une phase au sein d'un film mince et, d'autre part, de quantifier, pour la première fois à notre connaissance, les CEM de la phase Wβ. L'influence de la forme des grains sur le comportement élastique du dépôt a également été étudiée. Dans notre cas d'étude, il s'est avéré que son influence est de l'ordre de l'incertitude de mesure.
Références
M.F.Slim, A.Alhussein, F.Sanchette, B.Guelorget, M.François,Thin Solid Films,631,172-179 (2017).
M.F.Slim, A.Alhussein, A.Billard, F.Sanchette, M.François,Journal of Materials Research,32,497-511 (2016).