L'écoulement de Poiseuille plan est un des écoulements cisaillés les plus simples. Dans le cas non stratifié, il est connu pour être linéairement instable pour des nombres de Reynolds supérieurs à 5572 [1]. Au-dessus de cette valeur, des ondes bi-dimensionnelles - appelées ondes de Tollmien-Schlichting - sont visqueusement instables et peuvent se propager dans l'écoulement. Nous présentons ici l'analyse de stabilité d'un écoulement de Poiseuille plan stratifié en densité dans la direction verticale, c'est-à-dire orthogonalement au cisaillement horizontal. Les fluides stratifiés sont omniprésents dans la nature et dans un contexte géophysique, on peut penser ici à des écoulements dans des canyons sous-marins, au vent dans des vallées profondes ou à des écoulements laminaires dans des rivières ou des canaux où la stratification peut être due aux gradients de température ou de salinité. Notre étude est fondée sur des expériences de laboratoire, sur une analyse linéaire de stabilité et sur des simulations numériques directes. Elle fait suite à de récentes analyses des instabilités des écoulements cisaillés stratifiés et tournants ou pas: l'instabilité stratorotationnelle [2,3], l'instabilité de la couche limite stratifiée [4] ou l'instabilité de l'écoulement de Couette stratifié [5], où il est montré que ces instabilités appartiennent à une classe d'instabilités provoquées par l'interaction résonante d'ondes de gravité internes ayant subies un décalage Doppler par leur transport par l'écoulement. Une particularité de notre étude est que les ondes de Tollmien-Schlichting de l'écoulement de Poiseuille peuvent également interagir et éventuellement résonner avec des ondes de gravité. Nos expériences sont réalisées dans un canal annulaire ayant un diamètre intérieur de 1,4 m et une section verticale rectangulaire de 85 x 200 mm2. Ce canal est rempli jusqu'à un niveau de ~130 mm (position de la surface libre) avec de l'eau stratifiée en sel au moyen de la technique classique du « double bucket ». Le fluide à surface libre est ensuite entraîné par les parois latérales et le fond du canal lorsque celui-ci est mis en rotation lente. Cependant, une barrière, placée radialement à l'intérieur du canal, bloque l'écoulement, interdisant la rotation solide et créant un profil de vitesse horizontale presque parabolique. Des visualisations et des mesures de PIV montrent l'apparition d'un motif stationnaire (par rapport au laboratoire) composé d'ondes et qui apparaît au-dessus d'un seuil qui dépend des valeurs du nombre de Reynolds et de Froude (Rec~2000; Frc~0.5). La comparaison avec le seuil théorique et les nombres d'onde critiques calculés par l'analyse linéaire sont excellents. Enfin, des simulations numériques directes permettent de compléter la description de cette instabilité qui peut être interprétée comme une interaction résonante d'ondes piégées aux parois.
[1] Orszag, S. Accurate solution of the Orr-Sommerfeld stability equation, Journal of Fluid Mechanics, 50(4), 689-703, 1971.
[2] M. Le Bars, P. Le Gal, Experimental analysis of the stratorotational instability in a cylindrical Couette flow, Physical Review Letters 99, 064502, 2007.
[3] G. Rudiger, T. Seelig, M. Schultz, M. Gellert, Ch. Egbers & U. Harlander, The stratorotational instability of Taylor-Couette flows with moderate Reynolds numbers, Geophysical & Astrophysical Fluid Dynamics,111, 429-447, 2017.
[4] Chen, J., Bai, Y., & Le Dizes, S., Instability of a boundary layer flow on a vertical wall in a stably stratied fluid, Journal of Fluid Mechanics 795, 262-277, 2016.
[5] G. Facchini, B. Favier, P. Le Gal, M. Wang, M. Le Bars, The linear instability of the stratified plane Couette flow, Journal of Fluid Mechanics, 853, 205-234, 2018.