Dans ces travaux, nous nous intéressons à la vitesse d'une goutte dans une cavité de Hele-Shaw lorsque celle-ci est portée par un fluide à vitesse imposée. A notre connaissance, il n'existe pas aujourd'hui de réponse à cette question, pourtant cruciale pour le développement de systèmes basés sur la microfluidique digitale. Prédire la vitesse des gouttes nécessite d'identifier au préalable les mécanismes de dissipation dans la goutte, dans les ménisques et dans le film de lubrification. Ceci pose la difficulté de la mesure de la topographie complète du film de lubrification ainsi que des conditions limites à l'interface.
Nous montrons dans cet exposé que la RICM (Reflexion Interference Contrast Microscopy) permet de mesurer l'épaisseur du film de lubrification avec une résolution, au mieux, de 2 nm. Cette technique est donc parfaitement adaptée au problème posé car l'épaisseur du film atteint la dizaine de nanomètres aux plus basses vitesses. Dans le problème classique de Bretherton [JFM 1961] pour une bulle en géométrie axisymétrique, l'épaisseur du film plat est pilotée par l'hydrodynamique, et dépend linéairement du rayon du capillaire et du nombre capillaire à la puissance deux tiers. Dans un premier temps, nous montrons qu'aux confinements micrométriques (la dizaine de microns dans nos expériences) l'épaisseur du film peut devenir si fine que les interactions moléculaires (pression de disjonction) entre les interfaces liquide/liquide et liquide/solide entrent en jeu, fixant l'épaisseur du film à une valeur donnée. La topographie du film présente par ailleurs une structure complexe, en forme de catamaran avec une bosse à l'arrière. Cette forme peut être reproduite en utilisant l'approche de Burgess & Foster dans le cas d'une bulle dans une cellule de Hele-Shaw [POF 1990], permettant de reproduire la forme en voûte du film plat et l'épaisseur de film déposée à l'avant. En revanche, ce modèle ne permet pas d'ajuster la bosse présente à l'arrière. L'écart au modèle de Burgess &Foster peut être expliqué par la modification des conditions aux limites à l'interface. Notamment, la solution contient des tensioactifs qui, s'accumulant à l'arrière, génèrent une contrainte de Marangoni. La signature de cette contrainte est l'apparition d'une vitesse interfaciale conduisant à un épaississement du film en s'approchant de l'arrière. De fait, c'est l'épaississement qui est mesuré et qui permet d'extraire la vitesse interfaciale. En prenant en compte cette vitesse interfaciale dans le ménisque dynamique arrière, la topographie est fidèlement reproduite. Un résultat important est que cette technique expérimentale permet de montrer que des effets de rhéologie interfaciale apparaissent de manière locale, l'effet Marangoni est ici présent sur une surface représentant 5% de la surface totale du film.
Une fois la topographie mesurée et modélisée, nous montrons qu'un bilan de puissance permet de reproduire les vitesses de gouttes observées expérimentalement. Notamment, nous montrons que sans prendre en compte l'effet Marangoni à l'arrière, la vitesse théorique surestime la valeur expérimentale d'un facteur 1,3 environ. En revanche, la prise en compte de cet effet permet de reproduire les vitesses expérimentales mesurées, quel que soit le nombre capillaire et pour différents rayons de gouttes, et ce sans paramètre d'ajustement.
Ces travaux montrent que la mobilité des gouttes est très sensible à des effets locaux liés à la présence de tensioactifs, requérant une analyse de la topographie du film pour en extraire la signature. A l'inverse, l'étude de la mobilité devrait permettre d'extraire les propriétés interfaciales d'un système physico-chimique donné tout en s'affranchissant de la mesure de la topographie du film de lubrification.